Statistiquement, on peut penser que les populations sont peu concernées alors que ce qui est en cause n’est pas tant la population que sa concentration dans certains quartiers et dans certaines catégories sociales.
Les taux de mortalité par arrondissement évoquent bien la difficulté de remédier à une maladie encore mystérieuse (fig. 4). il ne s’offre donc aux autorités que des moyens préventifs. Restait à déterminer à qui les adresser.
Le choléra de 1866 est-il une «maladie de classe» ?
Indépendamment de l’agent infectieux, les médecins nordistes dénoncent des facteurs susceptibles de favoriser la maladie.
Pierre Pierrard, dans sa thèse qui fait autorité sur la vie ouvrière à Lille sous le Second Empire (P. PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 1991, (1ere édition, 1965), 532 pages) ,cite abondamment les observations de ces derniers.
Unanimement, ils mettent l’accent sur le taudis, foyer de maladies dont le choléra n’est qu’une parmi d’autres toutes aussi graves. Toutefois, si pour certaines d’entre elles, on possède alors des remèdes, à l’efficacité amoindrie par une large fraction réfractaire des populations concernées (Les témoins s’accordent à dénoncer la résistance à la vaccination variolique, notamment chez les ouvriers flamands belges de Lille.), le choléra résiste fortement aux traitements à disposition.
La presse s’en fait largement écho. Le Progrès du Norddu 8 décembre 1866 n’hésitait pas à qualifier le choléra de «maladie épidémique du pauvre». Ce n’est là qu’un constat dressé après les épidémies de 1832, 1849, 1854, 1859… durant lesquelles les populations ouvrières, notamment du textile à Lille, furent les plus durement atteintes. Pierrard avance que l’épidémie de 1866, à Lille seulement, fit 2.200 victimes dont 1.300 ouvriers (soit malgré tout 59%!).
L’Annuaire Statistique de 1867 rend compte de ce clivage social: «En examinant aussi les conditions sociales des personnes atteintes par l’épidémie, on constate que c’est la classe ouvrière qui a été presqu’exclusivement frappée pour ainsi dire partout. La raison de ce fait paraît facile à déduire; n’est-ce pas en effet la classe ouvrière qui par ses labeurs, sa nourriture peu substantielle, l’exiguïté de ses logements et, il faut le dire, ses habitudes d’intempérance, se trouve dans la situation hygiénique la plus défavorable? A Valenciennes, cependant, toutes les classes de la société ont dû payer leur tribut au fléau.»(in Annuaire Statistique, page 380)
L’organisation urbaine comme la structure de l’habitat sont en cause et ne cessent d’être dénoncées. La plupart des quartiers ouvriers du département offrent un triste spectacle. Les études sociales de Frédéric Le Play dénonçaient en 1858 la ceinture de fossés cernant les glacis et les fossés et canaux où l’eau stagnait ‘«N°24, La Lingère de Lille, d’après les renseignements recueillis sur les lieux en juillet 1858, par M. L. AUVRAY, traducteur de la marine», in Ouvriers des deux mondes, A l’enseigne de l’arbre verdoyant éditeur, collection: Est-ce ainsi que les hommes vivent?, 1983, 336 pages, pages 195 – 216,). Plus encore, les médecins constataient que les maladies, choléra entre autres, trouvaient un terreau favorable, à Lille comme ailleurs.
A Lille, on déplore alors un habitat humide, froid, misérable, des rues étroites et malpropres, un manque d’hygiène extrême. Les canaux de la ville comme les rues recueillent les déjections. Certains déplorent l’habitude qu’ont les hommes d’uriner dans les fossés à la sortie des estaminets, les femmes celle de se soulager dans les ruisseaux, d’incriminer les déjections qui stagnent entre les interstices du pavage (quoique ce problème, convenons-en, soit encore d’actualité au vu du nombre assez bas de toilettes publiques accessibles dans nos villes modernes…). Les autres villes industrielles ne se distinguent pas non plus par de meilleures conditions de vie dans les quartiers populaires .
La promiscuité est aussi en cause. La plupart des ouvriers s’entassent littéralement dans une ou deux pièces, rarement plus. Les cités, construites par le patronat ne représentent pas toujours un progrès. La courée – typique du paysage industriel du Nord – n’offre pas toujours, semble-t-il, de solutions satisfaisantes sur le plan sanitaire. L’absence de points d’eau en nombre suffisant comme de latrines privées ne plaident pas en faveur d’une réduction des risques… Que penser alors des nombreuses fosses à vidanger, devenant autant de lieux à risque.
Les solutions sont longues à s’imposer, notamment pour l’assainissement de la voirie. Les fossés défensifs ont accompagné les remparts jusqu’à leur démantèlement durant l’entre-deux-guerres, les grandes villes se sont équipées d’un réseau d’adduction d’eau – forcément onéreux – sur la fin du siècle (1871 à Lille avec le captage des eaux d’Emmerin, 1894 à Dunkerque).